lundi 20 juin 2011

A Guzerat...


... à la fin du XVIIIème siècle, un tigre fut Zahir ; à Java, un aveugle de la mosquée de Surakarta, que lapidèrent les fidèles ; en Perse, un astrolabe que Nadir Shah fit jeter au fond de la mer [...]; à la mosquée de Cordoue, selon Zotenberg, une veine dans le marbre de l'un des mille deux cents piliers.
Il s'agit du début (ou presque, une autre phrase précédait celle-là mais nuisait à mon intro) de la nouvelle intitulée "Le Zahir", douzième du recueil L'Aleph de Jorge Luis Borges.

Un des seuls trucs intéressants que mon ancien prof de français de prépa aura dit en classe*, et sans doute le seul que j'aurai retenu, c'était que Borges était un maître en l'usage de références imaginaires. Je ne suis donc pas sûre que toutes les sources qu'il cite soient réelles, notamment la référence Urkunden zur Geschichte der Zahirsage qui serait fictive mais inspirée d'un livre réel.

Parce que sinon, tout ce qu'on a du Zahir c'est le roman du même nom** de Paulo Coelho, et non je ne l'ai pas acheté, je suis désolée, Paulo Coelho c'est comme Bernard Werber*** et Marc Levy, c'est contre ma religion. Déjà mon père qui a cru me faire plaisir l'an passé avec la version anglaise de l'Alchimiste que je me suis empressée de perdre. Dommage qu'il m'ait pas dégotté le Zahir à la place, ça m'aurait déjà plus servi.

Voyons donc l'histoire racontée par Borges, qui elle a le mérite de se trouver à mes côtés.

Le narrateur de l'histoire, en quittant le lit de mort de la femme dont il était amoureux, prend un verre dans un bistrot et se fait rendre parmi la monnaie, une pièce toute rayée de vingt centimes : le Zahir de ce temps à Buenos Aires. Tout un train d'histoires liées à l'argent se forme dans sa tête (les 30 deniers de Judas, le louis d'or qui trahit Louis XVI...), et il expose une pensée selon laquelle l'argent est abstrait et représente le libre-arbitre et le caractère imprévisible du futur.

Après des rêves de pièces, le lendemain il se débarrasse du Zahir en s'égarant volontairement en ville ; mais il continue à y penser, écrit même une nouvelle qui apparaît au départ distante du "commerce des hommes" mais dont on découvre qu'un trésor est le coeur (nouvelle liée au Fáfnismál). Il croit guérir de l'obsession de la monnaie, n'y parvient pas, tente de la remplacer par d'autres en vain, et après une visite chez le psychiatre il trouve dans une librairie le livre Urkunden zur Geschichte der Zahirsage, un condensé de tous les documents se rapportant à la "superstition du Zahir", qui sont résumés par la suite. La conclusion est "[Muhammed Al Yemeni] lui dit qu'il n'y avait pas de créature au monde qui n'eut une propension à être [Zahir] mais que le Tout-miséricordieux ne permet pas que deux choses le soient en même temps puisqu'une seule peut fasciner les foules".

Le narrateur comprend désormais que rien ne le sauvera, découvre qu'une autre personne de ses relations a été affectée par la monnaie et sait qu'il deviendra comme elle.

"Qualifier cet avenir de terrible est fallacieux, puisqu'aucune de ses circonstances n'aura de réalité pour moi. Je ne percevrai pas l'univers, je percevrai le Zahir. Selon la doctrine idéaliste les verbes vivre et rêver sont rigoureusement synonymes ; de milliers d'apparences je passerai à une seule ; d'un rêve très complexe à un rêve très simple. D'autres rêveront que je suis fou et moi je rêverai au Zahir. Lorsque tous les hommes ici-bas penseront jour et nuit au Zahir, qui sera un songe et qui sera une réalité, la Terre ou le Zahir ?"
Un espoir tout de même : tels les soufis répétant les mots jusqu'à leur ôter leur sens, il espère user le Zahir en y songeant sans cesse.
Peut-être que derrière la monnaie se trouve Dieu.
Notion assez complexe à expliquer [en] que ce Zahir. Je le comprends bien mal, à mon grand regret.
Quel qu'il soit, le Zahir a la "terrible vertu de ne pouvoir être oublié" et "l'image [du Zahir] finit par rendre les gens fous".
Zahir, à son stade ultime, soulève les foules vers une obsession, une illusion commune, qui, si elle devient vraiment commune, remplacera la réalité.
Et si la religion elle-même était cette obsession, ce changement de vision ?
La simple foi est-elle donc elle-même Zahir ?

Je ne parviens pas à vraiment appréhender la nouvelle et le Zahir, le style de Borges étant ce qu'il est sûrement beaucoup de choses m'échappent. En fait je n'imagine guère un Zahir universel. Mais j'imagine un Zahir personnel, qui peut te poursuivre longtemps même après qu'il soit hors de vue.
Et qui empêcherait ce Zahir d'être multiple en un même temps s'il ne concerne pas tout le monde ? La règle ne serait-elle pas plutôt que le Zahir est unique pour chacun ?

Paulo Coelho le voit en tout cas ainsi : le Zahir, pour le narrateur de son roman, a pris la forme de sa femme disparue.
Admettons.
Ce qui ramènerait l'universalité du monde à une notion abstraite, qu'on pourrait définir autour d'une problématique philosophique "Qu'est-ce que la réalité ?".
Admettons encore.
Là on s'engage sur des terrains qui me sont inconnus.

Cependant, en lisant Zahir, je ne peux m'empêcher de penser à l'image qui constitue peut-être mon Zahir personnel. L'image dont j'ai peur qu'elle me rende folle et que je n'ose pas affronter. Et j'ai beau tenter de m'en détourner, je sais qu'elle est toujours là quelque part dans mon esprit.
Zahir pour moi est une image obsédante, un objet de jalousie et de tristesse permanentes, et en plus le symbole d'un monde dont je me suis exclue moi-même par déception et dont je n'ai jamais retrouvé d'équivalent, le symbole d'une complicité, d'une connexion comme je n'en ai jamais connu d'autres par la suite.
Depuis plusieurs années je crois régulièrement guérir. Pendant de longues périodes je peux y penser sans trop de mal. Et tout aussi régulièrement, des rechutes surviennent.

Parfois des épreuves, aussi, que j'esquive jusqu'ici au risque de blesser d'autres.
Mais j'ai peur de regarder Zahir.
Et je vois venir la prochaine confrontation.
D'autres rêveront que je suis fou et moi je rêverai du Zahir.

* C'est pas une blague, malheureusement. Rarement autant roupillé en classe.

** Pendant que j'y pense. Depuis qu'une bande de pinailleurs de culture générale ont pinaillé (fallait s'y attendre), sur un forum que je modérais il y a 3-4 ans, sur le sens exact du mot "éponyme", je n'utilise quasiment plus jamais ce terme comme ça j'ai pas d'emmerdes. Éponyme veut dire "qui a donné son nom à" (selon mon vieux dico Hachette) mais dans la langue parlée, beaucoup de gens l'utilisent plus simplement comme "de même nom que". Ce qui menait des pinailleurs à râler sur des questions comme "comment s'appelait le mentor de Candide dans le roman éponyme ?" parce qu'a priori c'est le personnage qui a donné son nom au roman et pas le contraire (quoique...), ce qui n'empêche pas la question est tout de même parfaitement compréhensible... Le mot parfait pour refaire le débat "qui fait la langue française, le peuple ou l'Académie ?" Et comme pour tous les débats, je ne m'en mêle pas et je préfère dire "du même nom".

*** J'en ai déjà parlé de Werber, et quant à Marc Levy, Et si c'était vrai est le seul que j'ai réussi à finir, parce que l'idée était originale, mais bon sang, comme je trouve que c'est mal écrit...

----EDIT-------

Please please please que QUELQU'UN m'explique pourquoi Blogger m'envoie me faire ****** quand je lui demande JUSTE de me mettre les notes en "small" ?

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